
© Didier Delmas
Thibaut Picard : « Du fait de la porosité croissante entre les codes de l’hôtellerie et ceux de l’habitat, les goûts en matière de cuisine et de salle de bains évoluent ! »
Architecte diplômé d’État, Thibaut Picard, qui a fondé sa propre agence (Thibaut Picard Architecte) en 2019, fait, à l’intention des lecteurs de Cuisines & Bains Magazine, toute la lumière sur les spécificités de son métier : son domaine de compétences, ses attributions et responsabilités, sa collaboration avec les cuisinistes dans le cadre de projets de rénovation de l’habitat, etc. Il livre par ailleurs un regard passionnant sur les tendances actuelles dans le domaine de la cuisine et de la salle de bains.
Cuisines & Bains Magazine. Vous avez ouvert votre agence d’architecture en 2019 : quels sont les domaines d’intervention que vous privilégiez au sein de cette dernière ?
Thibaut Picard. L’agence intervient dans le cadre de projets de rénovation d’hôtels, de villas touristiques, de riads, de complexes de golf… ainsi que d’habitats (maisons et appartements) destinés aux particuliers. En ce qui concerne la construction neuve, je suis assez peu sollicité pour ce genre de projets, du fait notamment de la présence de l’agence à Paris ; mais cela entre néanmoins dans mon domaine de compétences.
CBM. Et ce domaine de compétences, quel est-il ?
T. P. En tant qu’architecte HMNOP (équivalent actuel du titre DPLG, NDLR) et inscrit à l’ordre de la profession, je suis capable de mener à bien la conception architecturale et technique d’un projet (construction, extension, rénovation), puis de suivre les travaux. Il m’incombe donc, dans le cadre d’un projet de rénovation, de définir le projet architectural (agencement des espaces, optimisation fonctionnelle, circulation entre les pièces, cloisonnement, ouvertures pour laisser entrer la lumière naturelle, choix des matériaux) et le projet technique (modifications structurelles, choix des systèmes, implantation des équipements). Pour tout ce qui a trait à la construction neuve, ma responsabilité est de concevoir le projet qui correspond le mieux aux attentes de mes clients, en termes de besoins, de style architectural, d’agencement intérieur, de choix des matériaux, de budget, etc.
CBM. Vous n’avez donc rien à voir avec un architecte d’intérieur ?
T. P. Si un architecte diplômé d’État inscrit à l’ordre a l'obligation de contracter une assurance responsabilité civile décennale et une assurance responsabilité civile professionnelle, la profession d’architecte d’intérieur, pour sa part, n’est pas réglementée… même si nombreux parmi ceux qui l’exercent sont des professionnels aguerris, titulaires de diplômes qui attestent de leurs compétences (le plus souvent, les architectes d’intérieur ont un BTS design d’espace, un diplôme supérieur d’arts appliqués ou une formation de designer pour exercer la profession, NDLR).
Toutefois, dans le cadre de mes activités, je suis souvent amené à exercer les tâches dévolues à l’architecte d’intérieur (telles que les liste l’association Qualitel pour la qualité du logement, NDLR) : agencement des espaces à l’intérieur du logement, optimisation fonctionnelle, circulations entre les pièces, cloisonnement, pénétration de la lumière naturelle, choix des matériaux, choix du mobilier sur mesure ou sur catalogue.
Du fait de mon parcours professionnel, au cours duquel je me suis spécialisé très vite dans l’hôtellerie au sein des agences dans lesquelles j’ai travaillé, j’ai été amené à travailler à la fois sur l’enveloppe du bâtiment – un travail qui incombe exclusivement à l’architecte – mais aussi sur son aménagement intérieur, sur le design du mobilier, etc. ; il s’agissait d’appréhender la tâche de la manière la plus complète, la plus transversale qui soit, afin de livrer un projet abouti et cohérent de A à Z.
CBM. Dans le cadre d’un projet de rénovation de l’habitat destiné à des particuliers, intervenez-vous en tant qu’architecte ou architecte d’intérieur ?
T. P. Cela dépend du projet. En ce qui concerne les rénovations à Paris, nous intervenons assez rarement sur la façade ou le volume du bâtiment. En revanche, l’agence travaille actuellement sur un projet sis sur L’île de Ré, dans le cadre duquel elle intervient sur l’enveloppe, les ouvertures, les fenêtres, etc. Nous faisons de l’architecture au sens propre du terme et, naturellement, nous travaillons après sur l’agencement intérieur des espaces.
CBM. On prête souvent à la cuisine et à la salle de bains le rôle de pièces à vivre à part entière au sein de l’habitat : qu’en pensez-vous ?
T. P. Effectivement, j’ai tendance à considérer que la cuisine joue un rôle crucial dans l’organisation de l’habitat. Même lorsqu’elle est intégrée au séjour ou à la salle à manger, elle a définitivement gagné ses lettres de noblesse. La cuisine et l’office de jadis, relégués au fonds de l’appartement (ou de la maison) bourgeois(e) lors des siècles passés, ont vécu ; elles ont cédé la place à une pièce devenue un élément incontournable de la vie au sein du foyer, du fait du plaisir croissant qu’éprouvent les Français à cuisiner, ou de la dimension conviviale qu’ils associent à cette dernière, autrefois strictement fonctionnelle.
Il en va de même pour la salle de bains. Je remarque d’ailleurs un transfert entre les codes esthétiques et pratiques de l’hôtellerie… et ceux de l’appartement. Ainsi la suite parentale est-elle devenue très à la mode, et nos clients souhaitent de plus en plus disposer d’une salle de bains attenante à la chambre. Ouverte ou fermée, c’est affaire de goûts… comme dans la cuisine, du reste ; la réalisation qui s’ouvre sur le séjour tout en préservant son intimité par le biais d’une verrière ou de claustras est très tendance !
Quoi qu’il en soit, le constat est clair : du fait de la porosité croissante entre les codes de l’hôtellerie et ceux de l’habitat, les goûts évoluent ! Les particuliers sont de plus en plus demandeurs d’une salle de bains conçue comme un Spa d’hôtel, ou d’une cuisine de “chef“ œuvrant dans un grand restaurant.
CBM. Collaborez-vous avec des cuisinistes dans le cadre d’un projet de rénovation d’appartement ou de maison ?
T. P. Absolument. Cela dépend de la nature du projet, bien sûr, mais nous travaillons de plus en plus avec ces spécialistes, rompus aux subtilités et contraintes d’agencement d’une cuisine, et qui sont à même de nous apporter des solutions – notamment techniques – et des aménagements spécifiques riches d’une grande valeur ajoutée.
Dans le cadre d’une collaboration de ce genre, nous sollicitons le cuisiniste après avoir dessiné le logement, déterminé l’emplacement de la cuisine, sa taille, et pris connaissance du cahier des charges du client, qui comporte naturellement certaines contraintes techniques et/ou esthétiques : à charge pour lui de nous apporter les solutions les plus pertinentes en termes d’agencement !
THIBAUT PICARD ARCHITECTE
Avant de devenir architecte HMONP*, Thibaut Picard a grandi dans des appartements très colorés qui l’ont à jamais sensibilisé à la séduction des couleurs dans l’architecture intérieure. Après avoir obtenu un diplôme d'architecture de l'ENSA Paris-Val de Seine aux Beaux-Arts de Paris, il collabore pendant plus de dix ans avec de prestigieuses agences d'architecture parisiennes : entre autres DL2A, Valode & Pistre, et AW2. Ce parcours lui permet de travailler sur différents projets d'architecture tout en explorant également l'architecture d'intérieur et le design de mobilier.
Spécialisé depuis plusieurs années dans l’hôtellerie de luxe et les projets résidentiels de prestige, Thibaut Picard a travaillé sur de nombreux projets en Europe, en Asie et en Amérique centrale pour les groupes AMAN, Four Seasons, Marriott, Hyatt ou Club Med... ainsi que pour des hôteliers indépendants.
En 2019, Thibaut Picard décide d’ouvrir sa propre agence et travaille rapidement pour le compte de particuliers. Au sein de son agence, il intervient désormais sur toutes les étapes d’un projet (plan de masse, architecture et architecture d’intérieur), en y intégrant les contraintes et en s’inspirant du contexte culturel local. Son crédo : comprendre l’architecture d’un lieu, choisir les matériaux pour créer une cohérence entre l’environnement, l’architecture et les intérieurs.
* Équivalent actuel du titre DPLG